Regard de l'Univers |
Elvis A. Bazongo est un peintre multi-lauré du Prix des arts
plastiques à la Semaine nationale de la Culture. Artiste autodidacte, il s’est
formé par l’observation de la nature et par la fréquentation des artistes
modernes. Depuis deux décennies, il élabore une œuvre puissante avec une
palette austère faite des couleurs de son enfance.
On reconnait les toiles de Bazongo à deux choses : une
science certaine de la lumière et une palette pauvre composée d’ocre, de blanc,
de jaune et de noir. On se demande pourquoi le peintre se limite à ces quatre
couleurs et tourne le dos à cent mille autres couleurs. Mais si on s’intéresse
à la vie du peintre, tout s’éclaire. En effet, dans cette œuvre travaillent les
couleurs et les lumières de la prime enfance, celles sur lesquelles les yeux
s’éveillant au monde se sont posés et que
la mémoire telle une éponge a absorbées. Robert Frost disait que
« Prime verdure est faite d’or pur mais ce n’est pas chose qui
dure ». Pourtant, dans ce
cas, elle perdure…
Très tôt, le petit Bazongo montre des dispositions pour le dessin, et ce béguin deviendra vite un incendie qui l’embrasera et consumera son désir d’école. Désormais, il dessine et se détourne de l’école. Pour le punir, son père l’exile au village, croyant que l’éloignement de la ville lui fera renouer avec les bancs de la classe. Que nenni !
Là-bas, dans les champs de coton et de riz, le petit citadin découvre
les ténèbres épaisses des nuits sans lune qui engloutissent tout et les lumières douces du matin qui irise la rosée
sur l’herbe, ainsi que le soleil au
mitan de sa course qui fait flamber la blancheur du coton. Il est spectateur
attendri des couchers de soleil qui colorent de pourpre les choses et laissent une
trainée d’or dans les ruisseaux et les rochers du village. Le jeune homme fait
provision de ces couleurs qui rejailliront dans ses toiles, plus tard.
En 1993, il veut devenir peindre et pour cela, à défaut d’un atelier de peintre, il va travailler avec un calligraphe et durant une décennie, il va être peintre des affiches et des panneaux. Quelquefois, pour récompenser les bons clients, son patron lui demande de peindre des tableaux comme cadeaux à offrir.
Tout en travaillant comme affichiste, il se plonge dans les
ouvrages sur l’histoire de la peinture,
il y découvre le Caravage et aussi les peintres impressionnistes et
l’expressionnisme. C’est pourtant Le Caravage et Paul Cézanne qui influenceront
fortement sa peinture lorsqu’il décidera de se consacrer entièrement à l’ art
en 2003. Le peintre italien le séduit pour le clair-obscur de ses composition et
le peintre français pour son travail minutieux sur la lumière et ses peintures qui
célèbrent le grand air et le paysage.
Elvis Bazongo a une science de la lumière et des contrastes. Qui
dit lumière dit ombre parce que l’une est sœur siamoise de l’autre. Et il y a
ce combat permanent entre l’ombre et la lumière dans ces toiles qui captent la
diffraction de la lumière sur une surface pour la décomposer.
Il y insère des fibres, des sacs de juste pour avoir des stries, des
veinules qui traversent les taches de couleurs qui cohabitent et se confrontent
sur la surface de la toile. Ce qui fait de ces œuvres, des sortes de cartes
avec des juxtaposition de couleurs traversées d’itinéraires. L’œil du
spectateur est pris dans ce réseau et glisse dans ce labyrinthe de formes et de
couleurs.
Bien que la sensibilité l’incline vers l’abstraction, il s’oblige à peindre du figuratif pour ne pas perdre contact avec le public local plus porté sur le figuratif, plus facilement lisible. Pour ce faire, il compose quelques toiles d’un grand réalisme comme celle représentant des jeunes filles nubiles prises dans le tourbillon de la danse ou la toile avec un joueur de Kora, assis dans le clair-obscur, visage extatique, les doigts pinçant les cordes de son instrument. Par ailleurs, la culture du masque est vivace à Bobo Dioulasso et sa peinture s’en inspire de sorte que l’on retrouve dans ses compositions les motifs des masques, leurs couleurs ou même des masques.
Le Griot |
Mais on peut se demander à quand l’entrée du vert dans la
palette de ce peintre. Surtout de ce vert chlorophyllien des champs de coton et
de riz de son enfance. Pourquoi ne l’a-t-il
pas marqué ? Mystère et boule de gomme ! Pour le moment, le vert ne
trouve apparemment pas grâce à ses yeux. Mais il ne faut jurer de rien ; peut-être
qu’en des jours prochains, on aura droit à une période verte dans le parcours
du peintre. Parce que des peintres et des couleurs, c’est une histoire d’amour
pleine de rebondissements….